Sur le terrain – Togo : Le programme de supervision à l’entrée dans le métier des inspecteurs de l’éducation nationale (PSEM II)
Par le Professeur Sena Yawo AKAKPO-NUMADO
Coordonnateur de l’Equipe KIX Togo
Depuis janvier 2025 l’Equipe KIX du Togo met en œuvre un programme de supervision à l’entrée dans le métier (PSEM II) afin d’accompagner les inspecteurs nouvellement formés (promotion 2021-2023) dans le renforcement de leurs compétences professionnelles pour un meilleur encadrement des enseignants en vue de l’amélioration de la qualité de l’enseignement/apprentissage.
Le programme mobilise vingt inspecteurs des enseignements préscolaire et primaire volontaires, identifiés et coptés dans les sept directions régionales de l’éducation du pays. Il est exécuté par une équipe composée de chercheurs de l’Institut national des sciences de l’éducation (INSE) de l’Université de Lomé, des chercheurs de l’Université de Cergy Pontoise (France) et consultants d’Od’ecol International, et d’acteurs ministériels notamment le doyen de l’Inspection générale de l’éducation et le directeur des enseignements préscolaire et primaire.
Financé par le programme GPE KIX Afrique 21, piloté par le consortium composé par l’AUF, la CONFEMEN et l’IFEF/OIF, dont l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) est la cheffe de file, le PSEM II fait suite à un premier programme qui a permis, dans le cadre du projet d’appui au pilotage de la qualité (PAPIQ) de l’UNESCO, de conduire et d’accompagner des inspecteurs durant leur formation dans la réalisation de travaux de recherche traitant de problèmes pertinents de qualité de l’enseignement/apprentissage identifiés durant leur stage dans les inspections et leurs visites dans les établissements scolaires.
En effet, l’enseignement fondamental togolais est confronté à des défis structurels majeurs, tels que les classes pléthoriques, la forte hétérogénéité des élèves, les difficultés persistantes en lecture et en mathématiques, des tensions liées à la gouvernance décentralisée, les ressources pédagogiques limitées et les besoins en formation continue des enseignants (RESEN Togo 2019 ; PSE Togo 2020-2030). Face à ces contraintes, le PSEM II veut proposer des réponses innovantes, alliant expertise scientifique, pragmatisme professionnel et engagement collectif des acteurs de terrain. Il s’inscrit ainsi dans la démarche KIX visant entre autres, à instaurer une culture de pilotage éducatif ancré dans l’analyse des évidences du terrain scolaire togolais et basé sur la collaboration entre les chercheurs, acteurs, partenaires sociaux et partenaires techniques et financiers.
Les objectifs du PSEM II s’alignent bien sur les priorités de la politique sectorielle de l’éducation au Togo (PSE 2020-2030) notamment sur le deuxième axe stratégique qui vise à améliorer la qualité de l’éducation à travers plusieurs interventions dont le renforcement de l’encadrement et la supervision pédagogique des enseignants par les inspecteurs et conseillers et la mise en œuvre de pratiques pédagogiques innovantes. Le PSEM II constitue également une contribution à la réforme prioritaire du pacte de partenariat visant à améliorer la qualité des apprentissages à la fin du préscolaire et en début de l’enseignement primaire afin de favoriser une acquisition durable des compétences attendues en lecture, en écriture et en mathématique.
Pour atteindre ses objectifs, le PSEM II conduit les inspecteurs dans une dynamique de recherche-action et suit une démarche méthodologique en trois étapes. La première consiste en une exploitation et une analyse des mémoires de fin de formation des vingt inspecteurs pour identifier des pistes d’interventions à expérimenter autour de problématiques résistantes qui seront formalisées dans un plan de micro recherches-action stratégiques. Il s’en suivra une expérimentation des pistes d’intervention retenues dans des échelles restreintes (une classe, une école). Enfin, une troisième étape permettra de déployer les interventions expérimentées dans une échelle élargie.
Pour la première étape (déjà réalisée), les travaux des vingt inspecteurs (d’un volume global d’environ 2000 pages), ont été analysés par l’équipe des chercheurs du Think Tank Od’ecol international, et conçue spécifiquement pour le PSEM II. L’analyse a permis d’identifier trois thématiques prioritaires en lien direct avec les difficultés du terrain. La première thématique intitulée « Structurer et prioriser l’intervention des corps d’inspection », permettra d’établir une cartographie des écoles prioritaires, d’expérimenter un encadrement différencié des enseignants, et de repositionner l’inspecteur comme accompagnateur pédagogique afin de relever les défis liés au manque d’accompagnement ciblé des enseignants en difficulté, et aux visites perçues comme des contrôles formels. La deuxième thématique libellée « Différenciation pédagogique et remédiation en contexte d’effectifs pléthoriques », amènera les inspecteurs à tester des modalités innovantes (tutorat entre pairs, remédiation par anticipation), et à former les enseignants à des pratiques différenciées dans le contexte des classes hétérogènes, des classes pléthoriques jusqu’à 80 élèves, et face au décrochage des élèves plus fragiles. La troisième thématique, « Articuler pilotage centralisé et autonomisation des établissement », consistera à expérimenter des formes de dialogue de gestion entre acteurs et à tester des outils de pilotage de la qualité de l’éducation, en vue du renforcement de la cohérence des décisions top-down avec les besoins locaux en réponse aux exigences d’une dynamique de décentralisation et d’efficacité locale du pilotage éducatif.
À partir de ces premiers éléments, l’équipe de supervision du programme a mené un travail d’accompagnement individualisé avec les vingt inspecteurs pour les emmener à une production individuelle d’analyses automatisées des mémoires (par l’intelligence artificielle IA QualiÉduc), permettant l’identification des savoirs mobilisés, les limites méthodologiques et conceptuelles de leurs travaux et la proposition d’un cahier de charges préliminaire pour les micro recherches-action. Ce travail a aussi permis, sur la base d’un questionnaire d’auto-évaluation, d’identifier 15 compétences professionnelles jugées centrales dans la conduite de leur métier. Cette démarche permet une articulation cohérente entre formation, supervision, expérimentation et évaluation. Pour la poursuite du programme, chaque inspecteur engage une micro recherche-action adossée à un bilan de compétences individualisé, centré sur trois rôles fonctionnels de l’inspecteur : i)- expert pédagogique et méthodologique (observation, supervision, remédiation) ; ii)- accompagnateur du changement (animation de réseaux, tutorat, innovation), et iii)- acteur stratégique du pilotage éducatif (exploitation de données, dialogue de gestion). Le déploiement des micro recherches-action avec l’expérimentation des solutions innovantes développées couvrira l’ensemble des sept directions régionales de l’éducation du pays, avec une diversité de terrains (zones rurales enclavées, milieux multilingues, contextes urbains sous tension). A cet effet, une cartographie régionale des expérimentations est en cours de formalisation.
En outre, le PSEM II produit des bulletins d’information pour partager la synthèse des activités et des réflexions menées entre tous les participants au projet. Quatre numéros sont déjà disponibles. Le programme se poursuit avec un atelier qui réunit tous les participants à la fin du mois d’octobre 2025 à Lomé, afin de stabiliser le plan national de micro recherche-action en précisant les axes prioritaires et en élaborant des modalités pratiques d’intervention adaptées aux réalités éducatives du Togo. Il constitue un levier stratégique pour transformer l’entrée dans le métier des inspecteurs en un moment-clé de développement professionnel, d’expérimentation pédagogique (par la recherche-action) et de renforcement du pilotage éducatif. Il contribue non seulement à la montée en compétences des acteurs de supervision, mais aussi à l’amélioration systémique de la qualité éducative par la régulation contextualisée des pratiques pédagogiques et l’élaboration de solutions adaptées aux réalités des terrains scolaires togolais. Enfin, il favorise et promeut d’un côté, la collaboration internationale entre chercheurs en éducation (Université de Lomé (Togo) et Université Cergy Pontoise (France), et de l’autre, la collaboration entre chercheurs en éducation et acteurs de terrain (inspecteurs), acteurs régionaux (au niveau des directions régionales de l’éducation), et acteurs centraux autour des défis et enjeux de la qualité de l’éducation scolaire.
Professeur Sena Yawo AKAKPO-NUMADO
Coordonnateur de l’Equipe KIX Togo




